Âme, cœur, dites-moi quel ballet vous dansez
Quel est ce fin regard, lourd de manigance et
De désaccords tranchés, qui me fait agir saoûl,
Que vous, diables malins, portez par en-dessous ?
Je vole ces instants, bien qu'ils me soient offerts,
Ces moment délicieux qui me marquent au fer
Rouge où nous dissertons à l'envi sur la vie,
Où, grand cœur généreux, tu flânes mais dévies
Des idées trop usées, pour ne priver personne.
Patiemment, de mon quotidien monotone,
J'extrais la douce perle alors qu'elle apparaît,
Agrandis ma réserve, et m'enfuis en secret,
Portant mon tablier retroussé sur le cœur.
Puis dans un nid douillet, je soupèse en vainqueur
Le fruit de ma cueillette, avec soin, sans éclat,
À l'abri des regards, comme toujours. Et là,
Une nouvelle fois, j'alourdis le fardeau
De mon chapelet fou ; tes perles, crescendo,
S'égrènent sur le fil incertain des pensées,
Par un force brute invisible poussées.
Quand je sens que je dois raisonner mon réveil,
Je m'en vais quémander de suprêmes conseils,
Que je sais opportuns et bons, à la nature.
J'aime entendre sa foi pleine, moi, immature,
Encore aveugle et faible, aux convictions volages,
En couches d'or. Alors que par mon attelage
Solidement ancré, dont la charge s'accroît,
Je ballotte, chavire, et peine à marcher droit,
La nature, éternelle, indique le chemin.
Elle me dit : "Regarde, à portée de ta main,
Les habits du gendarme, et la chauve-souris
Qui rêve renversée, tous les pleurs et les cris
De ces âmes damnées que l'espérance élève,
La rose abandonnée sur la table des rêves,
Emportée en partant, réofferte mil fois,
Et l'écorce écorchée du bouleau sous tes doigts,
Le sourd scintillement envoûtant de ses feuilles
Au souffle du vent doux que poursuit le chevreuil
À travers la forêt jusque dans la prairie
Verte et tourbillonnante où l'on joue, chante et rit
Au fronton du bel et fier foyer qu'enlace
La rouge vigne vierge, alors que se prélassent
Les chiens et les chats, en attendant la pluie ;
Et l'araignée des champs, dont la toile reluit
Tant d'avoir recueilli la rosée du matin,
Le crocus courageux, qui, perçant dur, atteint
L'épanouissement glorieux, méritoire,
Les herbes folles qui nous convainquent de croire
Qu'il est une issue, quand bien même un mur se dresse,
La lune froide et ronde, et sa chaude caresse
Majestueuse sur les cimes de la ville...
Voici mon dû : voilà l'idée. Vois pour l'idylle."
Comment faire devant tant de pure clarté,
Quand tu t'incarnes dans chacune des beautés
Du monde, où qu'elles soient, dans le moindre recoin,
Au plus proche voisin, au plus profond lointain ?
Je suis resté plongé dans les froides eaux troubles
De ce deuxième temps, où les doutes redoublent
À chaque brasse, où les visions s'entrechoquent,
Explosent en vol, où les conclusions se moquent
De ce perpétuel combat : "Ha ha ! Sombrez !",
Jusqu'à ce qu'elles soient à leur tour démembrées.
Aux rouages hélas grippés, le chef d'orchestre
Semble s'être arrêté sur ce temps où sont maistres
Les abysses sans fond, sur ce temps passerelle
Du ternaire accompli. De cette ritournelle
Tu as pu t'extirper, car tu sais mieux que moi
Déchiffrer les chemins, ou du moins je le crois,
Tortueux et obscurs de la fatalité.
Laisse-moi te rejoindre, avec fragilité,
Sur le troisième temps, hors du temps, suspendu,
Fourmillant de pensées, cependant détendu,
Que la sérénité berce haut et protège,
Que l'émerveillement peuple en vastes cortèges,
Incertain, sublimant son accomplissement,
Guidé par l'espérance, et la vie, simplement.
Épilogue
Un jour banal, viendra mon heure, un jour clément,
De conjuguer repos avec éternité,
De me laisser fouler, ultime humilité,
Par la terre que j'ai foulée bien ardamment.
Ce jour-là, mis à part quelques hommes courtois
Qui viendront écoper, des fleurs sacrifiées
Pour la grande occasion, des vers expatriés,
Les êtres, consistents, ignoreront tout. Soit.
Mais quand, par sa racine, en mon cœur pénétrée,
Le chêne sentira cet amour immortel,
Il le rayonnera : les framboises nouvelles,
Pour sûr, auront alors un petit goût sucré.