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le blog cinqans

20 août 2014 3 20 /08 /août /2014 22:29

Vie

Je ne pensais pas qu'une simple soirée, sans intimité, sans grand évènement notable, puisse avoir un si fort effet sur mon corps et mon âme. J'ai le sentiment d'avoir été emporté par un torrent tourbillonant, tour à tour me remuant dans tous les sens, puis me laissant remonter doucement sur ses flots soyeux, pour ne m'agripper que plus violemment vers des courants bouillants. Sans que je ne puisse rien n'y faire, mes efforts pour tenter de garder une sorte de contrôle se révélant complètement dérisoire devant cette puissante nature.

Le voyage du retour en S. fut pour moi comme l'image du corps flottant à la surface, dérivant sur l'étendue d'eau accalmie, étendu en étoile, hagard, contemplant l'immensité du ciel bleu, calme et serein qui s'éclaire, comme après une énorme averse. J'ai recouvré mes esprits dans une baie, que j'ai accostée, et depuis, je reviens à la vie petit à petit. A quelques pas, j'entends la voix envoûtante de Lhasa, qui semble prendre toutes les précautions du monde pour me tirer de mes songes avec douceur, sans me brusquer. J'ai préparé un petit feu, ai fait sécher mes habits, et regarde autour de moi ce monde changé et pourtant identique. Je ne comprends pas, mais je songe profondément. Il me semble que la baignade m'a lavé, je ne sais de quoi, mais je sens comme une pureté nouvelle. Je songe, et me perds dans de fluides pensées, qui n'ont que peu de sens, mais qui revêtent cependant une certaine uniformité. Elles me portent deçi, delà, ne semblant pas obéir à une quelconque règle. On dirait qu'elles me font revivre le torrent, mais la violence a disparu et a laissé la place à une mouvance protectrice. Je me sens bercé affectueusement par une entité qui semble me dire que tout va bien aller, sans doute pas tout de suite, mais que l'heure viendra.

En réalité, je reconnais ce sentiment : la tristesse pure. Pas celle que l'on ressent enfant lors d'un caprice, pas celle que l'on ressent lorsqu'on regarde un film émotionnant, pas celle que l'on ressent lors d'un départ, pas la mélancolie qui nous prend en écoutant une chanson pleine de souvenirs... Non, plutôt celle que l'on expérimente pour la mort d'un proche. Habituellement, on pleure le fait que quelqu'un que l'on aime soit mort ; aujourd'hui, je pleure le fait que mon amour soit encore bel est bien vivant. Il est là, comme à ses plus belles heures, vigoureux et insouciant. J'avais essayé d'en faire le deuil, mais je le re-découvre en moi-même, au plus profond de moi. Je m'étais convaincu de l'oublier, de le laisser s'éteindre peu à peu, nous avions convenu tous les deux qu'il était plus raisonnable pour lui, et pour moi, d'arrêter de s'alimenter mutuellement. Je tentais de ne plus regarder en sa direction, de détourner le regard ; nous sommes grands désormais, nous savons ce qui est le mieux. Mais alors que je le crois calmé, alors que j'imagine cette petite flamme belle et ronde, mais sachant ne point trop se consumer pour ne pas trop prendre de place, je le retouve flamboyant et magnifique. Samedi, j'ai vu briller M. de mille feux, mais j'ai également senti son écho dans mon cœur, cette flamme qui m'a dit : je suis vivante. Cette vie-là m'attriste comme la mort nous rend triste.

Il est quelques fois difficile d'expliquer la manifestation de sentiments si sauvages. Il se peut que je pleure le fait de devoir encore tuer cette vie progressivement, comme on tue un animal à regret pour une bonne raison. Je l'ai gardé avec moi, en moi, depuis déjà trop longtemps. Je ne peux pas le rendre heureux, et il ne peut pas me rendre heureux. Je ne peux plus subvenir à ses besoins. "Je n'ai besoin de rien pour vivre", semble-t-il me murmurer, "laisse-moi seulement exister !". Je voudrais seulement le faire changer pour notre bien, mais on ne transforme malheureusement pas un papillon en chat, une luciole en mésange si facilement. I wish I could.

Il se peut également que lorsqu'on pleure un mort, on pleure l'amour bien vivant qu'on a pour ce mort. Cet amour orphelin qui vient de perdre ses attaches, l'une d'elle tout du moins, et qui se retrouve dangereusement déséquilibré. On pourrait dire : attends, c'est trop tôt, il avait encore plein de choses à te donner, lui si innocent, si heureux de se lier à toi.

Si seulement je pouvais être alchimiste.

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